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La maladie des soignants

Rosalie a 15ans. Depuis le divorce difficile de ses parents, elle vit avec son frère et sa petite soeur chez sa mère diabétique, en surpoids et mentalement immature . Rosalie se fait des entailles sur l'avant-bras gauche. Elle en fait de plus en plus et elles sont de plus en plus profondes. Sa mère l'a emmenée une fois aux urgences pour une suture et est repartie avec le conseil de consulter un pédopsychiatre. Lorsque je m'en aperçois par hasard, j'essaie de discuter avec Rosalie, mais celle-ci nie tout problème, alors que sa mère lui dit : "dit au docteur que tu te drogues". Je prends mon téléphone et contacte le service de pédo-psychiatrie. Cinq minutes d'attente, deux réponses du style "je vous passe la personne en charge des entrées", puis une psychiatre écoute ma description du problème. Elle me dit qu'il s'agit effectivement d'une urgence, mais qu'aucune place n'est disponible dans son service. Sur son conseil, je téléphone dans le service de pédiatrie où le chef de service me dit qu'il est hors de question de prendre en charge une adolescente à fort risque suicidaire dans un service de pédiatrie classique, parce que, manque de personnel, elle ne pourrait pas bénéficier d'une surveillance correcte. Il me passe les urgences. Réponse presque cholérique du médecin urgentiste, qui me demande si je suis sérieux ...et refuse également de prendre en charge la jeune fille. Moi, ça fait 30 minutes que j'essaie de trouver une solution. Rosalie me dit que de toute façon il est hors de question d'aller à l'hôpital, ce à quoi sa mère lui répond "tu es sure ma chérie ?" Je rappelle la pédo-psychiatre en lui listant les refus essuyés auparavant. Elle me répond "je l'a mets sur liste d'attente, il y en aura pour 3 à 4 semaines. Passez la voir tous les jours, en attendant". Malgré une colère qui monte depuis 10 bonnes minutes en moi, j'arrive à garder un calme relatif lorsque je lui dis que si elle ne prenait pas ce jour la jeune fille, je téléphonerais à la mairie et aux services sociaux pour faire un scandale. Miraculeusement, une place se libère.

Rosalie a passé 2 mois en pédo-psychiatrie où elle a pu bénéficier de soins excellents et d'un suivi psychiatrique de bonne qualité également. Elle a aujourd'hui 20 ans, travaille comme aide-soignante dans une clinique.

 

Ceci n'est pas une histoire isolée, pire ce genre de situation et quotidienne en médecine générale. A qui la faute ? A la pédo-psychiatre ? au chef de service en pédiatrie ? à l'urgentiste ? à la mère immature ? au père absent ?

Tout le monde est fautif dans ce scénario. Pourquoi ? Parce que nous acceptons tous ce genre de situation en nous dédouanant sur la faute des politiques qui font des coupes de budget, sur les directeurs d'établissement qui ne savent pas gérer, ...

La vérité c'est que la société elle même est malade.

Nous acceptons de travailler comme des forcenés pour nous acheter des produits dont nous n'avons pas le moindre besoin. Nous avons fait du monde du travail une planète où il ne fait pas bon vivre, où chaque geste est protocolisé pour ne pas perdre de temps. Tout y est traçable, comptabilisé, rentabilisé. Lorsque nous rentrons le soir éreintés et après des heures de trajet pour certains, nous allumons la télé qui nous dit : "achète, achète, achète" et nous recommençons le lendemain. A nos enfants nous disons travaille bien à l'école pour gagner de l'argent pour t'acheter des choses chères...

En fait les soignants qui craquent ne sont même pas vraiment malades - nous sommes ceux qui se réveillent de ce cauchemar. C'est un éveil douloureux, difficile à encaisser pour la plupart, mais c'est un éveil !

La maladie des soignants c'est de se rendre compte de l'absurdité de ce système !

Si vous souffrez de cette situation, c'est que vous avez su garder votre humanité, votre capacité à l'empathie et votre bon sens. Les soignants en souffrance le sont parce que le mot bienveillance n'est pas une idée abstraite pour eux. En fait ceux qui sont réellement malade ce sont les autres. Ceux qui acceptent à ignorer la souffrance des autres, qui se sont résignés à bannir l'empathie au profit de la rentabilité, qui continuent en se plaignant, mais sans la volonté de changer les choses.

Témoignez. Commençons à changer les choses.

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